Laura Mora Ortega : « La beauté et la poésie sont des lieux de résistance »

Los reyes del mundo, film de la réalisatrice colombienne Laura Mora, née à Medellin en 1981, a obtenu cette année la Concha de Oro du Festival de San Sebastián, ainsi que l’Œil d’or de la meilleure fiction au Festival du film de Zurich. Il est en compétition à FILMAR pour le Prix du public – FOCUS SUD. Entretien.

18/11/2022

Par Vania Aillon et Luisa Ballin

Le cinéma peut-il être un acte de résistance ?

Comme dans le Titanic, nous sommes les musicien·ne·s qui créons un peu de beauté au milieu de l’inévitable. J’ai appris et compris que construire de la beauté est aussi une façon de résister face à un monde cruel, où le capitalisme isole des gens en dehors de la société. Des individus doivent traverser des routes ou des mers à la rechercher d’un refuge. Mais ce lieu n’existe pas… Si nous ne comprenons pas la beauté de la complexité humaine ou celle des émotions et de l’imagination, nous nous laissons engloutir par l’horreur. Cela ne m’intéresse pas. Le cinéma m’aide à explorer la vie pour résister, et pour moi, la beauté et la poésie sont des lieux de résistance.

Le cinéma doit-il être moral et politique ?

Oui, le cinéma et l’art sont politiques mais pas nécessairement militants. Le cinéma doit poser des questions sur le monde. On m’a demandé si Los reyes del mundo se terminait dans le sang et les larmes. J’ai répondu que non ! Le cinéma peut faire revivre les morts, en leur donnant un espace, un bout de terre ou de ciel. À mon avis, c’est la seule forme qui le permette. Ce qui m’intéresse, c’est la résistance qui amène un peu de lumière, comme dans l’œuvre de Pier Paolo Pasolini. Il est essentiel que ma façon d’habiter le monde soit cohérente avec mes films.

Les femmes que vous présentez brièvement dans Los reyes del mundo semblent passives…

Je ne suis pas d’accord ! Au contraires, tous les personnages féminins ont un rôle fondamental dans le film. Dans une des premières scènes, par exemple, seule une femme transgenre offre son soutien à ces enfants des rues. Plus tard, ces jeunes entrent dans une maison au milieu des champs… Des femmes y habitent, elles leur donnent de l’amour et prennent soin d’eux. C’est comme si nous entrons dans une matrie et non une patrie. C’est beau ! Les hommes, en revanche, se montrent insensibles devant la situation de ces enfants pendant tout le film. Cette image est représentative de la bureaucratie colombienne, très machiste. La Colombie est comme ces femmes : apatride car on l’on a dépouillée de sa terre, délaissée de ses compagnons et de ses fils qui ont été envoyés à la guerre. Mais malgré tout, elle est généreuse. Elle est tout sauf passive.

La Colombie a élu un nouveau président il y a quelques mois. Y voyez-vous un espoir ?

Oui, j’ai de l’espoir ! Je ne dis pas que ce nouveau gouvernement n’aura pas de problème. Ce qui me touche, c’est le changement de récit. J’ai particulièrement remarqué la présence de Gustavo Petro et de la vice-présidente Francia Márquez Mina à l’ONU en septembre dernier. Dans son discours, le président a évoqué sa vision d’un nouveau modèle économique, social et environnemental.