Simón Mesa Soto : « Amparo est un collage de souvenirs »
Amparo, le premier long-métrage du réalisateur colombien Simón Mesa Soto, né en 1986 à Medellín, est en compétition pour le Prix du Jury des jeunes de la section OPERA PRIMA. Son film de fin d’études, Leidi, avait obtenu la Palme d’Or du court-métrage au Festival de Cannes 2014. Son second court-métrage, Madre, a été nominé pour ce même prix en 2016. Entretien.
Par Vania Aillon et Luisa Ballin
Comment est née l’idée d’Amparo ?
Amparo est un collage de souvenirs d’enfance et d’adolescence. J’ai voulu mettre la figure de la mère au centre, comme dans mes courts-métrages précédents. J’ai aussi vécu avec difficulté le départ de mon frère au service militaire. J’ai donc voulu raconter le quotidien d’une mère et de son fils.
Pourquoi situer l’intrigue à Medellín ?
J’ai voulu revenir à la Medellín des années 1990 que j’ai connue, et dont l’esthétique m’inspire quelque chose de romantique. J’ai écrit le scénario comme on mène une enquête journalistique. En particulier, j’ai cherché à comprendre le phénomène des batidas : l’enlèvement dans la rue d’adolescents qui n’étaient pas en possession d’une attestation d’exemption de service militaire, pour les enrôler de force. Je n’ai moi-même pas connu la peur de devoir fuir les camions, mais j’ai voulu me confronter à ce que signifiait la batida dans le quotidien d’une mère et de son fils.
D’autres cinéastes, comme Laura Mora, ont aussi tourné à Medellín. Que ressentez-vous pour cette ville ?
De l’amour, et parfois du rejet. J’ai eu envie de montrer le côté obscur de Medellín, cette ville de renom et d’infamie. Le cinéma est très jeune en Colombie et à Medellín mais il a connu un éveil particulier ces quinze dernières années. Il possède une force propre. Il permet de mettre en mots et en images des traumatismes. Nous les cinéastes, nous sommes influencé·e·s par le contexte dans lequel nous vivons, comme on peut l’être par un parent toxique.
Vous avez dit que l’armée en Colombie était un symbole de violence. Est-ce encore le cas, après l’élection du premier président colombien de gauche ?
Nous voyons quelques rayons de soleil. Mais le nouveau président a été élu il y a à peine deux mois, et la structure bureaucratique étatique ne va pas changer du jour au lendemain. La société associe les présidents au changement. Je suis plus nihiliste. Le changement doit venir du bas, des gens. La violence en Colombie est générée par l’armée, mais aussi par les guérillas et narcotrafiquants, qui évoluent mais restent très présents. Le problème est structurel. Comme on l’a vu récemment au Mexique, la violence ne disparait pas avec l’élection d’un président socialiste. Il faut prévoir plusieurs générations.
Que reste-t-il des soulèvements de la jeunesse qui ont eu lieu pendant la pandémie de COVID-19 ?
Le sentiment de rejet et le besoin de changement qui macéraient depuis un certain temps dans la société colombienne. La société a agi pour un changement en élisant un nouveau président, mais aussi dans la vie quotidienne, jour après jour. On en parle moins, mais c’est important.
Vous travaillez avec des acteur·rice·s non professionnel·le·s. Pourquoi ?
Le fait qu’elles et ils ne soient pas professionnel·le·s n’est pas un critère en soi. Ce que je recherche, ce sont des personnes qui reflètent la société dans laquelle elles vivent. En Colombie, 50% de la population travaille dans le secteur informel, comme la protagoniste d’Amparo, Sandra Melissa Torres. Sandra m’a raconté que plus jeune, elle avait imaginé devenir actrice en regardant la télévision, mais que c’était alors quelque chose d’impossible pour elle. Le salaire qu’elle a touché en interprétant Amparo l’a surprise alors qu’il s’agissait d’une somme simplement décente. Pour mon prochain projet, je souhaite travailler avec des acteur·rice·s professionnel·le·s pour participer à l’émergence d’un cinéma d’acteur·rice·s en Colombie détaché des standards de beauté. J’enseigne et je côtoie la jeune génération qui recherche un nouveau langage et de nouveaux types de narrations.